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Jâidentifie et distingue plusieurs gestes dans cette veine de la peinture de Guillaume Lebelle ; plusieurs gestes qui ont leur mouvement propre et une certaine constance de composition avec lâespace alentour. Outre le lien avec la musique (qui nâest pas ici lâobjet), câest lâespace de relation et dâunité entre des touches à tonalités diverses qui me retient et où je vois lâangle ouvert par ce travail. Le texte de Deleuze Occuper sans compter : Boulez, Proust et le temps éclaire ce principe de liaison et dâunité particulière au type de figures que lâon rencontre chez Guillaume Lebelle : « la manière dont des bruits et des sons décollent des personnages, des lieux et des noms auxquels ils sont dâabord rattachés, pour former des motifs autonomes qui ne cessent de se transformer dans le temps, diminuant ou augmentant, ajoutant ou retranchant, variant leur vitesse et leur lenteur » et plus loin « la vie autonome du motif, en tant quâil passe par des vitesses variables, traverse des altérations libres, entre dans une variation continue ». La toile nâest pas enduite et se laisse pénétrer par la liquidité de la couleur, ce qui donne lâimpression dâune couleur dans la toile plutôt que dessus. A quoi il faut ajouter des variations de consistance interne à la couleur liées à lâépaisseur du mélange, qui creusent la perspective des motifs. On obtient des corps ancrés dans la trame du tissu à différents degrés et qui sâen détachent plus ou moins. Ce sont là plusieurs gestes, les uns laissant la couleur sâimprégner et décider de ces contours, les autres poursuivant ou marquant le coup à la surface. Plusieurs motifs, autant de gestes de peinture, qui lâun après lâautre, instaurent une communauté dâespace, et finalement son unité. A première vue il nây a pas de figure. Sauf de rares indices identifiables (dont on conçoit mal quâils soient de simples accidents), les autres motifs pris séparément sont plutôt des signes ou des gestes de libre peinture. Rien ne semble assigner à ces gestes une fonction figurale. Et cependant les deux ou trois indices perçus plus tôt ont commencé à étendre les axes dâune distribution spatiale. Ils sont le point de départ dâune curieuse continuité qui reporte de proche en proche un caractère de figure. Il se produit une espèce de figuration par induction entre des éléments hétérogènes : lignes vives et lentes, courbures enfoncées, griffures ponctuées ou errantes, triangles flottants à demi ouverts, vaguelettes, esquisses dâarchitectures repliant leurs arêtes, stries et pétales échappés des doigts, sauts de lâange de brindille à pavot⦠Gestes et signes se précisent ou estompent leur contour à différentes hauteurs. Certains aspirent à des figures quâils peuvent trouver et tenir, dâautres sont en voie de repli et laissent lâavènement à la touche seule. Le regard compose avec ces différentes hauteurs et les entraîne dans un jeu de correspondances et de répons. Les quelques indices mieux identifiés soutiennent des champs de reconnaissance et affermissent la trame de lâespace. On circule dans un univers composite en traversant des figures allant leur chemin propre et prises à différents stades de leur développement : coexistence de lâétat larvaire et de la ruine, saut du distinct vers lâindistinct (ou le contraire), passage éclairé à une lumière filante. Câest un déambulatoire de gestes de peinture où les espacements et la blancheur maintenus par la toile brute distribuent les voies de circulation et ordonnent la structure du paysage. On arpente la carte dâune construction dont ne demeurent que quelques vestiges, croisant parfois un promeneur, bien en route ou égaré au coin dâun terrain vague. On erre dans lâempreinte dâun paysage, dans lâoscillation entre sa disparition et ses tentatives de retour. |