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LEBELLE Guillaume
(1972)
"il rit mais quelque chose lui appuya sur le crâne
qu'il avait sensible"
Guillaume LEBELLE - Notes sur l'artiste

Déambulations de Guillaume Lebelle,

J’identifie et distingue plusieurs gestes dans cette veine de la peinture de Guillaume Lebelle ; plusieurs gestes qui ont leur mouvement propre et une certaine constance de composition avec l’espace alentour. Outre le lien avec la musique (qui n’est pas ici l’objet), c’est l’espace de relation et d’unité entre des touches à tonalités diverses qui me retient et où je vois l’angle ouvert par ce travail.

Le texte de Deleuze Occuper sans compter : Boulez, Proust et le temps éclaire ce principe de liaison et d’unité particulière au type de figures que l’on rencontre chez Guillaume Lebelle : « la manière dont des bruits et des sons décollent des personnages, des lieux et des noms auxquels ils sont d’abord rattachés, pour former des motifs autonomes qui ne cessent de se transformer dans le temps, diminuant ou augmentant, ajoutant ou retranchant, variant leur vitesse et leur lenteur » et plus loin « la vie autonome du motif, en tant qu’il passe par des vitesses variables, traverse des altérations libres, entre dans une variation continue ».

La toile n’est pas enduite et se laisse pénétrer par la liquidité de la couleur, ce qui donne l’impression d’une couleur dans la toile plutôt que dessus. A quoi il faut ajouter des variations de consistance interne à la couleur liées à l’épaisseur du mélange, qui creusent la perspective des motifs. On obtient des corps ancrés dans la trame du tissu à différents degrés et qui s’en détachent plus ou moins. Ce sont là plusieurs gestes, les uns laissant la couleur s’imprégner et décider de ces contours, les autres poursuivant ou marquant le coup à la surface. Plusieurs motifs, autant de gestes de peinture, qui l’un après l’autre, instaurent une communauté d’espace, et finalement son unité.

A première vue il n’y a pas de figure. Sauf de rares indices identifiables (dont on conçoit mal qu’ils soient de simples accidents), les autres motifs pris séparément sont plutôt des signes ou des gestes de libre peinture. Rien ne semble assigner à ces gestes une fonction figurale. Et cependant les deux ou trois indices perçus plus tôt ont commencé à étendre les axes d’une distribution spatiale. Ils sont le point de départ d’une curieuse continuité qui reporte de proche en proche un caractère de figure. Il se produit une espèce de figuration par induction entre des éléments hétérogènes : lignes vives et lentes, courbures enfoncées, griffures ponctuées ou errantes, triangles flottants à demi ouverts, vaguelettes, esquisses d’architectures repliant leurs arêtes, stries et pétales échappés des doigts, sauts de l’ange de brindille à pavot…

Gestes et signes se précisent ou estompent leur contour à différentes hauteurs. Certains aspirent à des figures qu’ils peuvent trouver et tenir, d’autres sont en voie de repli et laissent l’avènement à la touche seule. Le regard compose avec ces différentes hauteurs et les entraîne dans un jeu de correspondances et de répons. Les quelques indices mieux identifiés soutiennent des champs de reconnaissance et affermissent la trame de l’espace. On circule dans un univers composite en traversant des figures allant leur chemin propre et prises à différents stades de leur développement : coexistence de l’état larvaire et de la ruine, saut du distinct vers l’indistinct (ou le contraire), passage éclairé à une lumière filante.
C’est un déambulatoire de gestes de peinture où les espacements et la blancheur maintenus par la toile brute distribuent les voies de circulation et ordonnent la structure du paysage. On arpente la carte d’une construction dont ne demeurent que quelques vestiges, croisant parfois un promeneur, bien en route ou égaré au coin d’un terrain vague. On erre dans l’empreinte d’un paysage, dans l’oscillation entre sa disparition et ses tentatives de retour.